Interview « Libération » – Mika, bien dans sa pop
Le chanteur né au Liban, qui navigue entre Miami et Londres, explore son univers singulier dans un sixième album, ode à la créativité et hommage à sa mère.
Son premier album, Life in Cartoon Motion, avait quelque chose des Beatles. Oui, rien de moins, et rien que ça. Il mêlait la musique classique et la pop, la fanfare et la symphonie, il était fantaisiste, inventif, farfelu et néanmoins très tenu, composé d’une guirlande de tubes (Lollipop en premier lieu). C’était un condensé de Grande-Bretagne. Rencontrer Mika, c’est se souvenir que, même si Londres ressemble désormais à une immense avenue Montaigne (le fric, à ce point-là, c’est pas très chic), cette capitale eut le génie de l’excentricité. Mika avait 23 ans seulement à la sortie de ce bijou. Certains aujourd’hui trouvent le chanteur et coach de The Voice ringard. D’après nous, c’est faux. Il est singulier. C’est un personnage. Il fait songer à Pee-wee, le héros du premier film de Tim Burton : «J’ai conscience qu’on me trouve étrange, mais je l’assume.» Mika est sincère et passionné.
Le jour du rendez-vous, juste avant Noël, présent à Paris pour la promotion de son nouvel album, le chanteur d’1m92 est habillé d’un costume rayé qui ne répond à aucune mode : «C’est moi qui l’ai dessiné. Ce n’est pas difficile de dessiner des vêtements. Essayez, vous y arriverez.» Il se lève gentiment pour faire bouillir de l’eau dans la cuisine du studio du photographe. Mika avait suggéré que cette rencontre se déroule au musée de la Magie, dans le IVe arrondissement, ce qui fut malheureusement impossible à organiser. Il est 13 heures, on boit de la tisane. Mika se nourrit une fois par jour, le soir. Il n’est pas maigre, il est mince.
Que ta tête fleurisse toujours est le titre de son sixième album et le vœu que sa mère a adressé au chanteur alors qu’elle allait s’éteindre, envahie par une tumeur au cerveau. Elle souhaitait à son fils de ne jamais perdre sa créativité. La couverture du disque montre le chanteur tout de blanc vêtu et assis sur un nuage, comme s’il était déjà au ciel. Mika n’est pas croyant mais, depuis quelques années, il discute régulièrement de théologie avec un universitaire, par Zoom : «Je suis un chrétien sécularisé.» Sa mère, libano-syrienne, était melchite : «Ce sont des Grecs orthodoxes qui suivent le Vatican», précise-t-il, souriant. «Enfant, à Londres, plusieurs jours par semaine, je chantais à l’église Brompton Oratory.» Il apprenait aussi le piano et le chant lyrique.
Archive (2009)
Mika, le grand serein
Culture
28 sept. 2009
Londres est la ville dans laquelle la famille a grandi. Le père, un Américain wasp et homme d’affaires, était né à Jérusalem parce que le grand-père de Mika était diplomate : «Mon père est un modèle en voie de disparition : il est polyglotte, il s’exprime avec une grande politesse, il parle un anglais élégant.» Marc-Olivier Fogiel, proche ami du chanteur, connaît toute la famille et assiste parfois aux repas qui la réunissent : «Le père est un homme d’une civilité extrême. Il regarde chacun de ses enfants avec bienveillance, heureux de les avoir autour de lui.» L’une des sœurs fabrique des bijoux, un frère est architecte.
De nationalité américaine, Mika aime le Liban, son pays natal : «Je n’ignore pas que c’est un pays extrêmement chaotique mais il me donne une identité. Le Liban, c’est aussi de la douceur, l’arabe mélangé au français, des odeurs. Et l’homophobie.» Le chanteur est en couple avec le même homme, un vidéaste, depuis dix-huit ans. Mika vote aux Etats-Unis : «Ce n’est pas compliqué de deviner pour qui.» De la France, il admire «l’identité républicaine. Je suis un mélange entre la culture britannique, tolérante malgré le Brexit, et la culture républicaine française». Lors de sa tournée intitulée Apocalypse Calypso Tour, il donnera un seul concert à Londres, en avril : «Les 30 000 places sont parties tout de suite alors qu’on me prédisait le pire, étant donné que les paroles du nouvel album sont en français.» Il se produira aussi un soir à Paris, à l’Accor Arena. Tout est déjà vendu.
Mika parlait anglais et français dans son enfance, et un peu arabe. Il habite entre Miami et Londres et possède, dans les Pouilles, un «atelier» où se fabriquent les décors et les costumes de ses spectacles, de sacrés shows travaillés au millimètre près. Ses revenus sont «irréguliers». «J’ai souvent peur que l’année à venir soit désastreuse financièrement.» Marc-Olivier Fogiel : «Mika réinvestit une très grande partie de ce qu’il gagne dans ses spectacles. Pour le show qu’il a organisé en clôture de la Coupe du monde de rugby, il a pris de gros risques en ajoutant beaucoup de sa poche, parce qu’il voulait des choses bien précises, et très compliquées à réaliser. Ce fut une réussite. Il avait beaucoup à perdre.»
A Miami, le chanteur est propriétaire d’une maison «ouverte», comme l’était celle, à Londres, dans laquelle il fut élevé. Il décrit, sans niaiserie, un univers qui lui paraît féerique : «Le lieu était rempli de personnes du monde entier : il y avait une vieille dame espagnole qui a vécu chez nous jusqu’à sa mort, à 94 ans ; une Libanaise ; une Russe âgée qui ne parlait que russe. Elle possédait des vêtements en dentelle, très exotiques à mes yeux. Il y avait un jeune homme que nous avions rencontré au Holiday Inn, à Pékin, et qui est venu s’installer au sous-sol, et une vieille Indienne, couturière, avec laquelle ma mère, couturière elle aussi, travaillait. J’ai vu ces personnes disparaître. Ma mère fut l’artisane de ce mode de vie et de ce casting que j’ai aimés.» A cet enchantement se superpose un malheur qu’il a beaucoup raconté : le harcèlement scolaire, une mise au ban accomplie grâce à la complicité d’une enseignante. L’agression fut d’une telle portée que Mika fut déscolarisé un temps par ses parents. Marc-Olivier Fogiel : «Il est intense, très fort et très fragile. Il est volubile mais il garde les choses importantes pour lui. Il a surmonté beaucoup d’obstacles.»
De la guerre au Proche-Orient, Mika dit : «Je sais que renverser une organisation terroriste, c’est très difficile, mais il faut sortir de la situation actuelle.» Ce commentaire n’est pas original mais son auteur ne joue pas à l’expert en relations internationales et lui, au moins, rappelle que le Hamas est une organisation terroriste. Parmi les artistes qu’aime le chanteur se trouvent évidemment les Beatles : «Il faut écouter leurs albums du début à la fin, l’ordre des chansons a un sens. Ce sont des magiciens.» Il aime aussi Elton John, Freddie Mercury, Glenn Gould, Colette Magny et Fellini. Cary Grant est, selon lui, «le meilleur acteur de tous les temps. Les comédiens anglais ont pour eux la connaissance des grands textes et la cérébralité. Les Américains, c’est l’émotion et la technique pour la maîtriser». A ce moment-là, Mika s’improvise à sa façon un peu lunaire expert en stratégie internationale : «Les Australiens allient l’émotion des Américains et la culture des Britanniques. Clac ! Avec les deux ensemble, les Australiens sont dangereux.»
Source : Libération