Mika débarque à «Star Académie»
On l’attendait avec impatience. Avec toute sa douce folie, sa couleur, son énergie, son puissant bagage et son immense culture, Mika, illustre directeur artistique de «Star Académie», débarquera enfin à l’académie de Waterloo mardi, pour déposer quelques étoiles dans les yeux des académiciens et, espère-t-il, les faire rêver grand.
On rejoint Mika en vidéoconférence, via Skype, dans le vaste et magnifique logis de l’Estrie où il est confiné depuis son arrivée au Québec. Sa «cage dorée», blague-t-il, «à une heure et demi de Montréal, un peu plus loin que Waterloo…».
C’est l’heure du dîner. Le chanteur mitonne devant nous, en jasant, un poulet chasseur avec bucatini. Il énumère ses ingrédients – tomates, origan, olives, câpres, basilic et vin rouge – et incline sa casserole pour nous faire saliver devant le résultat. Pas de doute, Mika est aussi bon cuisinier qu’auteur-compositeur-interprète, musicien et bête de scène.
On lui demande si sa quarantaine, entamée huit jours plus tôt, se passe bien. «Je me réveille tous les jours très tôt, détaille Mika. Je suis en train de livre des livres super. Je suis devenu obsédé par la « house music » des années 1990. Et Brahms. Je suis en train de bouffer tout le Brahms que je peux….»
Valoriser la niche
On le «rencontre» pour discuter de «Star Académie», mais son implication concrète dans l’émission, à titre de directeur artistique, Mika en parle seulement du bout des lèvres, bien décidé à ne révéler aucune surprise.
L’artiste dirige plutôt la conversation sur des préoccupations réveillées, entre autres, par la soirée des prix Grammy, diffusée la veille. Préoccupations, on l’entend entre les lignes, qu’il emmènera avec lui à l’académie de Waterloo et au studio MELS de Saint-Hubert pour y sensibiliser les académiciens.
«Je me suis rendu compte d’un truc assez triste, commence-t-il. Avant, quand j’étais plus jeune, il y avait toujours des librairies, des bibliothèques de musique, où je pouvais récupérer des livres, des CD, des vinyles, et confronter l’album en entier. J’apprenais des trucs. J’écoutais la musique dans un contexte. La musique était contextualisée.»
«Aujourd’hui, on ouvre Spotify, on a l’embarras du choix… mais on n’écoute rien. On est manipulés par les algorithmes, par les éditeurs qui nous disent quoi écouter, qui décident quoi mettre de l’avant, mais on est en train de perdre vraiment la discographie large.»
Mika s’enflamme, appuyant son propos d’exemples tangibles. «Si tu veux écouter de la musique classique, tu commences avec quoi? Tu vas entendre Puccini 150 000 fois, mais tu n’entendras jamais Fischer-Dieskau chantant du Schubert. Et c’est la même chose pour le jazz: tu entends Ella Fitzgerald, Billie Holiday, toutes les mêmes choses, encore et encore, mais jamais les petits trucs de Charlie Parker, de tous les géants du jazz qui n’ont jamais été super commerciaux…»
«On a un peu ce problème partout. On perd maintenant cette capacité de contextualiser la musique, et énormément de répertoire se perd. Je trouve ça très triste. Ce sont quelques pensées de ma quarantaine, et j’ai décidé que j’allais confronter ça, non seulement dans ma vie personnelle, mais aussi en général. La commercialisation et la manipulation qu’on est en train de souffrir dans cette industrie, je pense que c’est super important de monter une résistance à ça, et d’y répondre.»
À son avis, le plus intéressant de la récente soirée des Grammys a été concentré dans les «before Grammy», la cérémonie du dimanche après-midi.
«J’espérais tellement qu’avec Internet et le « streaming », la niche pourrait vraiment grandir, prendre sa place. Qu’on pourrait tous être d’accord sur le fait qu’on a le droit d’être différents, d’avoir des préférences différentes, et d’assumer notre droit de sauter d’un club à l’autre, avec beaucoup de joie. Ce n’est pas ce qui est en train de se passer. Il y a une sorte d’homogénéité qui s’impose. Et c’est terrible.»
Superhéros musicaux
C’est ce qui ressort le plus de l’entrevue: l’hétéroclite, la marge, l’éclaté, voilà ce qui fait vibrer Mika. L’icône britannico-libanaise affirme que le pouvoir de la musique peut transformer les «outsiders» en superhéros. Il cite en exemple Bowie et Blondie. Et il aimerait propulser les candidats de «Star Académie» comme des «héros de Marvel musicaux». Il leur a d’ailleurs déjà proposé un exercice en ce sens.
«C’est là qu’est l’importance de la vraie différence, de la valeur de chaque sorte de geste artistique. J’ai expliqué ce concept aux académiciens, et je leur ai demandé de dresser une liste de cinq à dix chansons où, s’ils devaient exprimer leur fantaisie la plus cachée, la partie d’eux qui les rend vraiment uniques, et qui leur provoque le plus de problèmes dans la vraie vie, quelles sont ces chansons qui leur donnent la liberté de les exprimer? Sans peur, sans honte? Je leur ai dit: « Oubliez le supermarché! Je m’en fiche, de vos «storys» sur Instagram! Je me fiche de la quarantaine, de tout ce qui se passe… »»
«Et les réponses sont extrêmement intéressantes, poursuit Mika. Car certaines personnes ont compris. Le truc que je veux dire, c’est: trouve ta niche. C’est bien d’aimer Beyoncé, mais ça ne va pas vraiment t’aider. Et là, un autre dit: Sufjan Stevens. Ou Tori Amos. Ou des trucs que, moi, je ne connaissais même pas. Et là, tu te dis que, celui-là, il a compris. Il est ouvert.»
Rigueur et excellence
Mika fait partie du personnel de l’école «Star Académie», mais ne l’appelez surtout pas professeur. On le verra en atelier à l’académie mardi, puis il dirigera la cohorte d’élèves dans des numéros de son cru dans les variétés des deux dimanches suivants.
À quoi ressembleront les espérés tableaux? On le répète: on n’en saura pas beaucoup à l’avance…«Dans l’un, j’utilise ma vie et ma musique pour leur faire comprendre qui je suis, et pourquoi je suis là. Je leur donne accès total. La deuxième semaine, ça sera entièrement misé sur eux», se limite à répondre Mika.
D’accord. Mais encore, que retiendront les étudiants de leurs échanges avec une vedette internationale de sa stature? L’exigence et la préparation, relève le principal intéressé. Surtout en cette époque d’abondance d’artistes, du monde au bout des doigts et de démocratisation du processus d’enregistrement de la musique.
«L’excellence et la rigueur sont encore plus importantes. Une chanteuse baroque qui remplit des salles de 200 personnes n’a pas moins de valeur que quelqu’un qui remplit une salle de 25 000 personnes. Si on oublie les chiffres de « stream » et les « likes » sur Instagram, qu’est-ce qui reste pour quantifier la valeur d’une personne? C’est l’excellence, la rigueur, et toutes les qualités qui rendent une personne unique», expose en guise de conclusion celui qui estime que, après ses nombreux spectacles chez nous, ses passages à «Star Académie 2012» et «La Voix 2016», un arrêt d’invité d’honneur (réclamé par lui-même!) à «En direct de l’univers» et un duo avec Pierre Lapointe («Six heures d’avion nous séparent»), entre autres lettres d’amour au Québec, sa participation à «Star Académie» cimentera encore davantage le lien précieux qu’il entretient avec les Québécois.