Article « Le Figaro » : Mika, chanteur polyglotte, de retour avec un nouvel album

PORTRAIT - À 40 ans, la pop star sort son premier album en langue française. Une réussite de plus à porter à son crédit.

Mika vient d’avoir 40 ans mais il en paraît au moins dix de moins. Le temps ne semble pas avoir d’emprise sur cette pop star étincelante, qui a réintroduit le glamour et les refrains acidulés dans la musique anglo-saxonne. Il lui aura fallu atteindre cet âge symbolique pour sortir son tout premier album en français. «C’est à la fois une envie et un défi. Je me suis aperçu, il y a quelques années, que lorsque j’accepte de me lancer dans un projet sans savoir comment le réussir, ça me provoque une instabilité qui me réveille et me stimule», explique-t-il. Une sorte de bain de jouvence pour cet amoureux des langues qui n’aime rien tant que se remettre en question. «J’aime toujours apprendre de nouvelles langues: cela me donne l’impression que mon cerveau se réveille d’une autre manière.»

Le chanteur aurait pu faire comme tant d’autres, aller à la pêche aux auteurs pour qu’ils lui confectionnent des textes sur mesure. Il a préféré s’impliquer corps et âme dans l’écriture, ne lâchant pas son principal collaborateur, Doriand, d’une semelle. «Il me fallait trouver une manière de retrouver mes réflexes anglais dans la langue française quand j’étais en train d’écrire. Ce n’était pas facile pour Doriand, on a pas mal clashé», raconte le chanteur.

À l’arrivée, le disque montre une autre facette d’un artiste dont on pensait avoir fait le tour, et lui confère une profondeur nouvelle. «Je voulais avoir un bon accent évidemment, mais sans trop gommer ma personnalité», confie-t-il. Sur le disque, il rend hommage à Jane Birkin, qui avait érigé son accent anglais au rang de signature artistique. Comme elle, Mika sait que ce choix assumé est un gage d’authenticité. La sienne ressort de manière encore plus vive sur ce disque, peut-être parce qu’elle est frappée du sceau de l’authenticité.

Mika est l’ennemi déclaré du snobisme. Toute sa carrière ressemble à une croisade contre ce réflexe de classe qui pollue trop souvent l’approche de la musique. «Je suis resté fidèle à l’esprit créatif qui m’animait à l’adolescence, lâche-t-il. Je pense que tout est possible, qu’il n’y a ni barrière ni frontière.» Au-delà de son parcours musical, toute sa vie peut-être abordée à l’aune de cette déclaration d’intention. «Il faut assumer de porter de la couleur dans une soirée où tout le monde est vêtu de noir» résume-t-il avec un joli sens de la formule. Né à Beyrouth dans les années 1980, de nationalité américaine, homosexuel, Mika est une publicité pour le vivre-ensemble, un plaidoyer vivant pour la tolérance et l’ouverture d’esprit. Un hymne à la résilience, aussi, un peu comme l’un de ses modèles avoués, Elton John, qui fut rejeté et moqué à l’adolescence avant de devenir une pop star flamboyante et outrancière.

Homme de réseaux

«Le succès peut créer une bulle de protection à l’intérieur de laquelle l’air est plus respirable», dit-il, pas dupe. Infatigable étudiant de la vie, ce polyglotte (il parle anglais, français, italien et espagnol) est en train d’apprendre le grec et aimerait reprendre l’étude de la langue arabe. «Il y a moins de locuteurs autour de moi depuis la mort de ma mère. Toutes ses copines lui parlaient dans cette langue.» Mais le jeune quadragénaire continue de rêver en anglais, la langue de son éducation scolaire. «Ma mère était née de père syrien et de mère libanaise et parlait l’arabe, qui est devenu ma langue refuge. Quand on s’est déplacés, à Londres, c’est devenu le français. Voilà pourquoi je ne l’ai jamais perdu. Mes parents sont restés ensemble près de quarante ans. On a appris à être très ouverts aux cultures autour de nous.» Mika en a tiré un côté lumineux et extrêmement séduisant. Il est du genre à faire l’unanimité autour de lui. «Je ne me suis jamais vraiment posé la question» affirme-t-il pourtant. Homme de réseaux, Mika déplore la disparition de lieux de convivialité entre artistes. «On a perdu la culture des clubs où les artistes se croisent, les restaurants où l’on se rencontre.»

Son nouvel album permet à Mika d’afficher une personnalité moins lisse que ce qu’on a longtemps pu percevoir de lui. «Mon côté Wasp (White Anglo-Saxon Protestant, NDLR) s’amuse-t-il. J’ai dû me libérer un peu de ça.» Victime de harcèlement scolaire dans sa jeunesse, Mika n’hésite pas à prendre la parole sur un sujet qui concerne toujours particulièrement la société française actuelle. «J’ai subi cela de l’âge de 8 à 17 ans. C’était long. Les conséquences sont énormes quand ça se passe et il faut absolument faire quelque chose. Il faudrait que les gens de pouvoir disent publiquement qu’ils n’en ont pas fait assez. Quand les parents d’un enfant écrivent plusieurs fois à l’école ou à la région et que tout le monde s’en fiche, l’enfant est en danger de mort. Le grand problème, c’est avoir honte de parler de ce qui se passe: cela provoque comme un cycle où on s’enferme et on se retrouve de plus en plus isolé. Il faut casser ce cycle. Je me suis retrouvé dans des situations où j’avais des problèmes avec un prof en particulier, une femme qui faisait des choses hallucinantes. Des humiliations. Et il n’existait aucune procédure pour aider l’enfant que j’étais. Par chance, j’avais une famille forte, qui m’a retiré de cette école. Je n’écrivais plus, je ne lisais plus. Ma mère m’a permis de me reconstruire en me faisant étudier la musique. L’empathie et la curiosité, sont les deux secrets du bonheur.»

Source : Le Figaro