Interview « 20 Minutes » – Mika : « Je m’exprime en français mais ne fais pas semblant d’être Français »

La star de 40 ans, qui sort ce vendredi un nouvel album studio, « Que ta tête fleurisse toujours », évoque pour « 20 Minutes » son rapport à la France et à sa langue qu’il entend assumer davantage

En une demi-heure d’interview avec Mika, les mots « improbables » et « éclectiques » sont revenus régulièrement dans sa bouche. En France, on le connaît comme auteur, compositeur, interprète, coach de « The Voice » ou présentateur de l’Eurovision 2021 à Turin. L’artiste est multifacettes. Né au Liban il y a quarante ans, il dispose des nationalités américaine et britannique, a vécu des années à Paris et Londres, a tracé une partie de sa route en Italie et connaît le succès jusqu’en Asie… Il est sans doute la star la plus cosmopolite en exercice, une de celle pour qui l’expression « citoyen du monde » semble avoir été inventée. « Je ne vois jamais la musique avec des frontières », ajoute-t-il, lorsque 20 Minutes le rencontre, un mardi soir de novembre, pour parler de son nouvel album, Que ta tête fleurisse toujours, qui sort ce vendredi. L’opus est intégralement en français. Une première pour Mika.

« Que ta tête fleurisse toujours » est votre premier album en français en seize ans de carrière. Pourquoi maintenant ?

J’avais envie de quelque chose de nouveau, de me forcer à sortir de ma zone de confort, sans savoir ce qui allait se passer ou ce que j’allais produire. Je ne savais pas si j’allais écrire un truc piano-voix extrêmement intimiste ou même si j’allais pouvoir écrire des textes tout seul. Cette peur de l’inconnu était fondamentalement importante. Ce qu’il s’est passé, c’est que j’ai pu parler pour la première fois de ma relation au français et à la France, qui existe mais que je n’ai jamais soulignée. Je ne l’ai jamais reconnue auprès de mon public international. J’avais 7 ans quand je suis parti de Paris [où il était arrivé six ans plus tôt] avec ma famille et j’ai décidé de faire cet album il y a deux ans. Il m’a fallu tout ce temps pour y parvenir.

Souhaitez-vous conquérir le public international, imposer ces chansons en français ?

Je ne pense jamais à conquérir, ni à imposer.

J’ai mal choisi mes mots… Espérez-vous que cet album fera son chemin à l’international ou visez-vous spécifiquement le marché français, francophone ?

Je pense que c’est fascinant, pour les gens qui me suivent, peu importe le pays où ils se trouvent. La tournée, qui mélangera les chansons en anglais et en français, n’était pas supposée sortir de France. Or, tous les shows à l’international sont sold out [complets] ou presque. A Berlin, on vient de changer de lieu pour une Arena, on n’attendait pas ça du tout. Ça montre que l’éclectisme est une marque de fabrique avec laquelle les gens me reconnaissent. J’assume mon parcours improbable. J’ai décidé il y a très longtemps de suivre un chemin plutôt poétique que stratégique. Ce disque en est la preuve. Je ne vois jamais la musique avec des frontières. Peut-être parce que j’ai grandi avec la musique classique où il n’est pas rare qu’elle soit en d’autres langues. J’ai l’impression que cet album intrigue beaucoup plus le Japon, la Chine, la Corée du Sud et les Anglo-Saxons que les Italiens. Il y a peut-être un truc entre l’Italie et la France que je ne comprends pas mais ils me semblent moins intéressés là-bas par un répertoire francophone…

Vous parlez d’assumer votre lien à la France et à la langue française. Comment le définiriez-vous ?

C’est très personnel. J’adore l’idée que l’album puisse être davantage lié à la francophonie qu’à la France. J’ai toujours dit que j’allais m’exprimer en français mais ne pas faire semblant d’être Français. Comme c’est une partie de ma vie, de moi, je trouvais intéressant de l’expliquer musicalement, pas juste en parlant. Il y a des choses qu’on peut dire en musique en français et qu’on ne peut pas dire juste en parlant en français. Même si les mots que j’emploie sont assez simples, dans les paroles, les messages sont intimes et plus profonds. Cette candeur dans les paroles, on la retrouve dans le lâcher prise des mélodies qui sont très directes, très pop à l’anglo-saxonne dans l’ADN. C’est drôle, il m’aura fallu un album en français pour assumer et retrouver, d’une manière presque adolescente, ce côté frontal dans ma composition musicale. Ça montre que c’était une bonne expérience. L’écriture a été un refuge. Ecrire de cette manière aurait peut-être été plus difficile en anglais.

Le titre de l’album, « Que ta tête fleurisse toujours », est très poétique. Il est extrait des paroles de « C’est la vie ». Pourquoi avez-vous choisi cet intitulé ?

C’est la vie est la dernière chanson que j’ai écrite. Et choisir ce titre extrait des paroles était une évidence. Il correspond à une provocation de ma mère. Elle était en vacances en Italie, très malade. Elle s’est retrouvée à l’hôpital à Rome, puis à celui de Milan. On a découvert qu’elle avait un cancer très agressif, un glioblastome a envahi son cerveau. Il fallait l’opérer immédiatement. Les docteurs ont décidé de l’envoyer à la Salpêtrière à Paris. Un des derniers messages qu’elle m’a envoyés, c’était cette phrase, en anglais : « que ta tête fleurisse toujours, joyeux anniversaire ». Elle était accompagnée d’un dessin de moi avec des fleurs qui sortaient de ma tête. Je n’ai jamais pensé que ça deviendrait une chanson. Quelques années, plus tard, en écrivant, j’ai compris que c’était une provocation qu’elle m’adressait. Elle me provoquait pour être sûre que je me souviendrai de cette idée de la créativité qui sort de la tête, que j’allais rester fidèle au défi que je m’étais lancé plus jeune et qu’on a développé ensemble. Il était évident que cette phrase, qui est le centre émotionnel, intime, de cet album, puisse être son titre.

Il y a quelque chose de très surréaliste dans cette image. Aimez-vous le surréalisme ? Auriez-vous été à l’aise avec les dadas ?

Bien sûr ! Je ne sais pas si j’aurais été à l’aise, mais ça me nourrit. De même que des choses plus récentes, comme l’absurde. On a perdu le côté poétique de l’absurdisme. J’étais un grand pote de Dario Fo [décédé en 2016], j’allais le voir chaque jeudi pour le déjeuner. On avait même écrit une pièce de théâtre ensemble, qui n’est jamais sortie.

Pourrait-elle se jouer ?

Oui. Elle parle d’un vieux et d’un jeune qui se retrouvent à la fin du monde, la grande apocalypse, ensemble dans un lit. Ils essaient de dormir pendant que dehors, c’est le déluge. En fait, ils sont dans un department store et prennent refuge dans la partie meubles pour la maison… (rires) Le surréalisme, le dadaïsme, l’absurde m’inspirent. J’adore la contamination des disciplines, si on pouvait avoir davantage de cela, le monde serait bien plus coloré et surprenant.

La chanson « C’est la vie », premier extrait du disque est toute en contraste. Elle mêle une dimension funeste à une forme de légèreté, de joie…

C’est la clé pour comprendre d’où sort cet album, pourquoi il existe. Il y a cette idée que, même dans les moments les plus difficiles, il y a de la beauté. Il faut s’autoriser à le reconnaître et à en parler. Cette tristesse était présente dans mon dernier album et elle n’était que ça. On la retrouve dans cet album mais métabolisée, transformée et c’est extrêmement joyeux. Ce qui était triste dans le précédent devient joyeux et dansant dans le nouveau.

« C’est quoi ces rides sur mon visage ? Pourquoi elles viennent cafter mon âge ? », chantez-vous. Vous avez eu 40 ans cet été. Cela a-t-il été un cap compliqué à franchir ?

Dire non serait stupide. Mais je me suis rendu compte que j’avais fait tant de chose dans les années qui ont précédé mes 40 ans que je pouvais rentrer dans cet âge avec cette énergie, que le terrain était fertile. Sur scène, j’étais chaud, bouillant, créatif. J’ai fait plein de festivals pendant deux ans pour établir ce truc, pour dire, pendant dix ans, de 40 ans à 50 ans, je vais y aller. J’ai mon propre langage sur la scène, lié à ma philosophie de vie. C’est donc important mais pas parce que je pense que c’est vieux, plutôt parce que je pense que, de 40 à 50 ans, on peut faire de putain de belles choses !

Source : 20 Minutes