Interview « Le Parisien » – Mika : « La France fait partie de moi »

À l’occasion de la sortie de son sixième album, « Que ta tête fleurisse toujours », le premier entièrement en français, nous avons demandé à l’artiste de nous parler du lien exceptionnel qu’il entretient avec la France, sa langue et sa culture. Révélateur.

Mika est à l’hôtel de Crillon, où on le rencontre, comme à la maison. Et à Paris comme chez lui. L’artiste à la double nationalité britannique et américaine, qui est né à Beyrouth et vit entre Miami, l’Angleterre et l’Italie, a habité dans notre capitale les sept premières années de sa vie de globe-trotter. La France a été l’un des premiers pays à faire de lui une popstar, en 2007, avec son premier album, « Life In Cartoon Motion » : 1,5 million d’albums vendus ! Et l’a même invité à chanter avant la finale de la Coupe du monde de rugby.

Il n’y a rien d’extraordinaire à ce que notre coach préféré de « The Voice » (où il revient après une parenthèse de quatre ans) ait enregistré un album entier dans notre langue. Son sixième disque, « Que ta tête fleurisse toujours », a été co-écrit avec deux auteurs, un reconnu, Doriand, et une jeune inconnue, Carla De Coignac, composé et produit avec Renaud Rebillaud et Valentin Marceau, alias Marso. Ce n’est pas notre album préféré, mais il ne manque ni de tubes ni d’invitations à danser (« C’est la vie », « Bougez », « Jane Birkin », « Apocalypse Calypso »…) et promet une nouvelle tournée haute en couleur.

Son album. « Quand j’ai annoncé que j’allais faire un album en français, mon entourage avait peur que cela me limite à l’étranger, au moment où l’Asie se reconnecte de manière forte et les États-Unis se vendent à une vitesse pas vue depuis mon premier album : Tu vas t’enfermer dans une niche, m’a-t-on dit. Et c’est exactement le contraire. Les grandes salles où je vais tourner en Angleterre sont déjà complètes, alors que je vais chanter en français. À mon âge, 40 ans, et dans une industrie pop très brutale, il ne faut pas avoir peur d’être artisanal, de se démarquer des autres et de suivre son cœur. La France fait partie de moi, depuis l’enfance. J’ai fait cet album car ma relation à la langue française m’a énormément apporté dans ma vie professionnelle et privée. »

Son titre. « C’est le dernier message de ma mère avant sa mort. C’était un cadeau d’anniversaire. Elle qui le faisait toujours de ses mains, une chemise, un sac, un costume, ne pouvait plus. Alors, on lui a donné un iPad et elle m’a dessiné avec des fleurs sortant de la tête. Je me suis rendu compte bien plus tard que c’était une provocation en plus d’une invitation à rester créatif. Ce fut une libération aussi. Je trouve qu’il faut répondre à la mort avec la même férocité qu’on répond à la vie. C’est une philosophie de vie. »

La chanson « Moi, Andy et Paris ». « C’est la première fois que je consacre une chanson à mon compagnon (Andreas Dermanis), avec qui je suis depuis longtemps. On a eu une énorme dispute il y a quelques années, il est parti à l’aéroport et on ne s’est pas parlé pendant plusieurs semaines. Je devais écrire là-dessus et j’ai instinctivement écrit en français, en sachant qu’il ne comprendrait pas tout de suite. Et, évidemment, il a compris. Et c’est lui qui a insisté pour que je la mette sur l’album. »

Jane Birkin. « Cette chanson, Jane Birkin, je l’ai écrite bien avant sa disparition. Je l’ai rencontrée plusieurs fois. Elle me fascinait, en tant que femme et artiste, et me ramenait toujours à la question de ma vie, d’où je viens ? Elle représente l’érosion des frontières, la sensualité, la nudité et la pudeur, l’intelligence et l’anti-snobisme, dans un monde de plus en plus snob… J’aimerais être comme elle, un jour. Sur cette chanson, je voulais absolument une présence féminine. J’ai demandé à Valérie Lemercier, avec qui je suis devenu très ami, de venir faire de petites interventions. Et c’est elle en studio qui m’a donné l’idée de la chanson Bougez, qui se moque des injonctions à la radio pour votre santé, bougez plus. »

Ses lectures en français. « J’adore Camus, les personnages et les lieux qu’il construit, les questions existentielles qu’il nous pose. Mais je veux citer un livre récent, Beyrouth-sur-Seine de Sabyl Ghoussoub. C’est passionnant. Cela parle intimement d’un sujet très important pour la France, de l’immigration, de l’idée de grandir ici en venant d’ailleurs, comment tu formes ton identité… Je me suis reconnu dans cette histoire. Cela fait du bien de lire pour comprendre sa propre vie et le monde autour de nous, pour nous rendre plus empathique. Je l’ai lu lentement. Je parle assez bien français mais j’ai du mal à le lire et à l’écrire. »
« J’ai des amis partout en France. Après un concert, je conduis pendant une, deux, trois heures. Et ceux que je vais voir le plus, ce sont mes amis dans les restaurants et les hôtels. »

Ses chanteuses. « J’en choisis deux, une du passé, une de l’avenir. Barbara et Juliette Armanet. J’adore les gens qui chantent au piano. Barbara, c’est pas très original, mais je suis tellement geek que je veux entendre ses chansons dans toutes les versions. Comme la Solitude, ma préférée de la chanson française. Je ne reprendrais pas Barbara sur un album, mais sur un concert, avec grand plaisir. Seul au piano. Comme une conversation. Et j’aime aussi Juliette Armanet. À chaque festival que je fais, je veux voir au moins un autre artiste. Et j’ai craqué très fortement sur elle. Qui en pureté est extrêmement forte et fait aussi le show. Et dans ce monde où tout le monde pleure sur Instagram, c’est hyper difficile de faire la showgirl devant 20 000 personnes. Il faut bizarrement se séparer de l’ego pour oser cela. »

Son meilleur souvenir parisien. « J’ai vécu jusqu’à sept ans à Paris. On louait un très joli appartement avec plein de musique et de couleurs. Ma mère avait son atelier de couture dans le salon. Elle avait organisé un shooting de ses créations avec un ami photographe. Je dois avoir 6 ans et, avec mes deux sœurs, on pose devant la tour Eiffel. On est habillés en rose, en noir, avec de grands nœuds. Une photo existe. Je vois ma mère faire ce qu’elle aime avec les gens qu’elle aime. Je pense que tout part de là. J’aimerais bien faire ce que j’aime avec les gens que j’aime. Et tout le monde nous regarde. Ce que je porte est différent, mais pas absurde. C’est créatif, plein d’amour et de fun. C’est aussi un moment clé sur la manière dont je peux vivre ma vie librement. C’est juste avant que mon père (banquier) soit retenu au Koweït. À son retour, il perd son super travail, on part à Londres et la vie bascule. »

Ses amis dans l’Hexagone. « J’en ai beaucoup. Des artistes, designers, écrivains, des gens des médias, comme Marc-Olivier Fogiel, avec qui j’ai une amitié forte. On se dit tout, tout le temps, cash, ça permet d’éviter le confort et avancer. Mais j’ai des amis partout en France, où je voyage énormément en voiture. Après un concert, je conduis pendant une, deux, trois heures. Et ceux que je vais voir le plus, ce sont mes amis dans les restaurants et les hôtels. Une de mes meilleures copines, c’est Brigitte Pages de Oliveira, qui a un hôtel à Arles. À mon dernier Bercy, j’avais invité dans ma loge les serveurs de la brasserie Chez Georges, ma cantine parisienne. Ce soir, c’est à vous d’être servis. J’ai l’impression qu’on fait le même job, qu’on travaille pendant que les autres font la fête, qu’on est tous dans la même troupe de cirque. »

Son plat français préféré. « Le coq au vin. Je sais le cuisiner, mais il faut au moins prendre deux jours pour le préparer. Je cuisine beaucoup, j’adore ça. Si je pouvais arrêter de travailler dans la musique, je prendrais un an à l’institut Paul-Bocuse. »

Source : MikaWebsite[.Com!]Le Parisien