Interview « Version Femina » – Mika : « L’amour n’est jamais très loin de nous »

Le chanteur nous met des paillettes plein la tête depuis son tubesque « Grace Kelly » en 2007. Et son nouvel album, « Que ta tête fleurisse toujours » (Island/Universal), tient toutes ses promesses de chansons prêtes à danser, à la bonne humeur résolument contagieuse. A 40 ans, toujours aussi sympathique, doué, attentionné et élégant qu’à ses débuts, Mika distille une joie intense, aussi bien sur scène qu’à la ville. Un vrai remède à la morosité, idéal en cette période de fêtes.

« Que ta tête fleurisse toujours » : pourquoi un titre d’album aussi surprenant ?

A 7 ans, j’ai eu des problèmes de harcèlement à l’école. Du coup, je ne lisais plus, je n’écrivais plus, j’ai arrêté de parler pendant neuf mois… A tel point que j’ai été viré de l’établissement. Ma mère m’a alors dit : « OK, si tu ne vas pas à l’école, tu iras au parc pour dessiner et tu vas apprendre à chanter et à jouer du piano à la maison. » Quand elle est partie, en 2021, j’ai compris que son message était : « Tant que ta tête fleurit, que tu es créatif, alors tout ira bien. » Je défendrai toujours l’idée que l’imaginaire et la musique peuvent changer la vie des gens.

Comment définissez-vous ce disque ?

Il est fondamentalement pop dans l’esprit, coloré, décalé, mélodique, alternatif. Il n’est pas du tout « variétés », ni lisse, mais accessible. Il comporte autant un côté charnel que des câlins et des cœurs. Faire un album est un processus très sérieux et, en même temps, furieusement amusant. J’aborde des sujets profonds, mais sur une musique très dansante. Pour moi, c’est une sorte de résistance douce et poétique, un désir de métaboliser la vie, la tristesse, le vieillissement, pour les métamorphoser en quelque chose d’autre. Quand on y arrive, on se sent un peu mieux. Je prends mes peurs et je les transforme en chansons, en couleurs, en formes, comme un plasticien.

Si un terme vous définit, c’est bien la joie, non ?

Plutôt la curiosité. Je ne suis pas que joyeux, mais surtout curieux. Je sens aussi tout le temps que l’amour n’est jamais très loin de nous. L’autre jour, avec ma sœur, on faisait du sport dans un parc. Il y avait des vieilles dames et des vieux messieurs, sur des bancs, qui commentaient nos exercices ! Je me suis avancé en esquissant une révérence et je leur ai dit : « Bon après-midi à vous, le spectacle commence maintenant. Merci. » Et là, il s’est passé quelque chose, certains ont applaudi. Je m’en fiche du sport, ce qui reste dans ma tête, c’est d’avoir ressenti un peu d’amour à ce moment-là.

Faites-vous ce métier pour être aimé ?

Pas du tout. Si c’est ce que l’on recherche, je pense que l’on ne peut pas être dans sa propre vérité. Quand je parle d’amour, c’est une sorte de lumière plus universelle que personnelle, liée à une philosophie humaniste.

Le titre « C’est la vie » rend hommage à votre maman ?

Il s’agit d’un hommage à la vie et aux souvenirs qu’elle nous a laissés et qui continuent en nous. Ce n’est pas un hasard si c’est la dernière chanson que j’ai composée, alors que l’album était terminé. Ce titre montre la démarche que j’ai eue et pourquoi j’ai conçu cet album. Non pas qu’il soit entièrement dédié à ma mère. Je reconnais une légèreté d’esprit qui s’entend dans les morceaux et qui me plaît énormément. Je ne me pose pas la question de savoir si les gens vont aimer ou non. Quand j’évoque ma vie personnelle, c’est aussi sans complexe. Je ne sais pas vraiment ce qui s’est passé, mais je ressens une plus grande liberté par rapport à mon album précédent, y compris dans ma vie en général. Je prends beaucoup plus de plaisir dans tous les domaines. Je me sens libéré.

Peut-être cela est-il lié au fait d’avoir eu 40 ans ?

C’est drôle car, il y a quelques années, je m’étais dit que si, à 40 ans, j’arrivais à prendre des risques, à avoir de nouveaux projets, à continuer la musique et à en être fier, alors ça serait bon signe. C’était mon ambition et mon défi. Dans ce métier, il n’est pas donné à tous de devenir quadragénaire tout en gardant cette candeur et cette joie. Il faut jouer comme un enfant et réagir comme un adulte.

Pouvez-vous nous parler de la genèse de votre chanson « Bougez » ?

L’idée est née parce que Valérie Lemercier, qui fait secrètement des voix sur mon titre Jane Birkin, en avait assez d’entendre à la radio, chaque fois que l’on nous vend de la malbouffe, ce slogan : « Pour votre santé, bougez plus ! » Elle m’a invité à écrire sur cette absurdité. Le soir même, je suis allé à un concert où je me suis ennuyé. Les premiers mots me sont venus et je me suis dit que ma copine était géniale. Elle avait raison et j’ai écrit la chanson. Je l’adore, c’est vraiment mon amie. Elle me fait rire, elle est aussi fun que sérieuse. C’est une femme intelligente qui prend des risques comme si elle avait 19 ans.

Quand avez-vous écrit « Jane Birkin » ?

Bien avant sa disparition et ça a été très instinctif. J’avais vu l’un de ses concerts symphoniques, c’était tellement beau ! Elle avait changé physiquement, mais elle communiquait la même lumière. Birkin, c’est une âme, elle a toujours été une référence pour moi, peut-être parce qu’elle avait, elle aussi, ce côté anglo-français, mais pas seulement… Elle était intello et surtout antisnob. Je ne suis pas du tout snob, je déteste ça !

Pourquoi un album entièrement en Français ?

Je voulais le faire depuis très longtemps. La France, c’est une grande partie de mon cœur. Je ne peux pas imaginer ma vie sans elle. Je me suis construit avec différentes identités culturelles et c’est très bien ainsi. Je recommence à avoir des projets en Angleterre, alors que j’avais arrêté d’y aller, car j’en avais ras-le-bol. Tout en sachant que, un jour, je trouverais ma façon de faire la paix avec ce pays, qui a été celui de mon enfance, de ma vie scolaire, de mon éducation… Je vais y donner de nombreux concerts, je termine également un disque en anglais, qui sortira l’année prochaine, y compris en France.

Sur un album, vous êtes partout…

Je m’investis globalement, dans les photos, les costumes, les clips… Et j’ai ouvert mon propre atelier. J’en suis le directeur artistique. J’avais demandé à des marques de créer des costumes avec des fleurs géantes pour évoquer cette idée de renaissance. Mais elles ont refusé, alors j’ai décidé de les fabriquer avec des potes. Ainsi, personne n’est là pour nous dire non. J’adore la mode mais, quand on a une idée en tête, on doit avoir la possibilité de la réaliser, à l’instar de nos icônes qui jouaient avec les fringues et racontaient des histoires avec. Mick Jagger allait chez de petits couturiers de Naples ou de New York et s’amusait comme un fou. Aujourd’hui, les artistes ont perdu ça. C’est bien, de temps en temps, d’être habillé par des marques, c’est beau, mais ça n’est pas tout. On a le droit de porter un vêtement imparfait et de s’exprimer !

La tournée débute en mars 2024. Impatient ?

Oui. Avant, je pensais davantage au matériel, aux décors. Désormais, je conçois également des concerts qui sont vraiment de l’énergie pure. Je la provoque, mais on la crée avec le public. C’est ça, la vraie magie, celle qui va aussi me procurer du plaisir et transporter les gens. Finalement, tout est au service de l’énergie. Les chansons, la vie, la mort de ma mère, les problèmes de mon couple, la joie, les désirs, les fantasmes… tout cela doit être transformé en énergie. Celle-ci ne peut qu’être positive car, même si l’on raconte quelque chose de morose, au moins, ça sort. La chanson permet de résister aux aléas que la vie peut provoquer. En extériorisant, ça devient quelque chose qui ne fait plus partie de soi. Ça libère l’esprit et ça rend plus léger.

Source : Version Femina