Interview « Le Progrès » – Mika sort un album tout en français : « Ce projet dévoile une nouvelle partie de mon identité »

Son enfance déracinée, le harcèlement scolaire dont il a été victime, le décès de sa mère… Mika a accepté de se livrer au cours d’un entretien, à l’occasion de la sortie ce vendredi de son nouvel album intitulé Que ta tête fleurisse toujours. Le chanteur star de 40 ans sera par ailleurs l’invité du prime de la Star Academy, samedi soir sur TF1.

Vous sortez un nouvel album ce vendredi, que pouvez-vous nous en dire ?

« C’est un nouveau terrain de jeu pour moi. C’est un album qui m’a tellement plu dans le processus d’écriture et de production que je ne voulais pas le finir, je ne voulais pas sortir de la bulle dans laquelle il m’a plongé pendant ces deux dernières années. »

Cette bulle que vous évoquez, c’est aussi une bulle d’oxygène nécessaire à votre créativité ?

« C’est exactement ça. Souvent quand on parle de bulle, ça a une connotation négative mais pour moi non. Quand je rentre dans cette bulle, ça me nourrit, ça me donne de l’oxygène et de la matière sur laquelle je pourrai m’appuyer dans les années à venir. »

C’est votre premier album exclusivement écrit en français. Pourquoi ?

« C’est quelque chose que je voulais faire depuis très longtemps. Je me suis enfin senti prêt à le faire et à défendre ce choix. Ce n’est pas évident car je suis considéré par beaucoup comme un artiste anglo-saxon. Réaliser un projet 100 % francophone dévoile une nouvelle partie de mon identité à mes fans, ça leur permettra de mieux me connaître. »

Vous vivez où actuellement ?

« (Rires) Je suis basé entre les États-Unis, l’Angleterre, l’Italie et le reste du temps je suis en voyage ou en tournée. Mon décor change beaucoup mais ma musique m’accompagne où que j’aille, c’est elle mon cadre. Ma maison je la transporte. »

Samedi soir, vous serez l’invité du prime de la Star Academy, vous serez également jury dans l’édition 2024 de The Voice… C’est le grand retour de Mika ?

« Oui ! Mais je n’étais pas complètement absent non plus. J’ai réalisé des projets un peu plus pointus, de niche, moins exposés, comme des bandes originales de films ou encore des projets philharmoniques. Pour moi, c’est primordial de profiter des moments d’accalmie médiatique pour prendre le temps et le risque de me positionner sur des projets plus profonds, moins commerciaux. Cet équilibre m’aide à me ressourcer sur le plan artistique et humain. »

Dans votre nouvel album, vous rendez hommage à Jane Birkin. Qu’a-t-elle représenté pour vous ?

« J’ai toujours été admiratif d’elle. J’ai écrit cette chanson 10 mois avant sa disparition. Pour moi elle représente la passerelle entre la culture anglo-saxonne et la culture francophone. À la fois pointue à la fois pop ; un temps intello, un temps frontale et accessible ; profondément charnelle, sensuelle et en même temps extrêmement élégante et jamais vulgaire. C’est essentiel d’avoir des artistes qui représentent l’excellence mais aussi une sorte de poésie engagée. La pop sans poésie, ça n’a pas de valeur. »

Elle a eu l’occasion d’entendre ou de lire votre chanson avant de mourir ?

« Je ne sais pas… Elle n’était pas bien. Je pense qu’elle ne savait pas. J’ai échangé avec Lou Doillon – l’une des filles de Jane Birkin – et elle m’a envoyé un très gentil message. Pour moi c’était très important, si ça avait été ma mère… J’aurais voulu être en mesure d’entendre la chanson avant les autres. »

Ces dernières années, en plus du Covid, vous avez connu une période compliquée sur le plan personnel avec la perte de votre mère… Que représentait-elle pour vous ?

« C’était une relation assez chargée. C’était ma mère mais aussi celle qui m’a formé musicalement, on a commencé ensemble. On s’entraînait 5 h par jour… Sa perte a complètement influencé la personne que je suis… et mon album. Dans les épreuves difficiles de la vie, on a parfois l’impression que tout est en train de brûler, que tout s’écroule. Mais il faut comprendre qu’à cet instant-là, précisément, se présente à nous un choix existentiel : soit on s’en tire par le haut, soit on s’effondre. Il faut tout faire pour pouvoir, d’une manière ou une autre, s’en sortir en étant le plus joyeux possible. »

Mika, c’est aussi elle ?

« Mika c’était aussi elle. Maintenant c’est moi. Cette transition vers le ‘‘juste moi’’ a pris plusieurs années. Il y avait beaucoup d’amour et de tendresse mais c’était aussi une relation très dure parce qu’il y avait beaucoup de pression, de larmes. Mais en même temps, elle était tellement bienveillante, qu’elle savait toujours à quel moment elle devait s’arrêter et relâcher un peu la pression. »

Enfant, vous avez été victime de harcèlement scolaire…

« J’ai été victime de harcèlement à l’école oui. Ça a commencé très jeune et les ‘‘thèmes’’ ont évolué jusqu’à mes 17 ans. Ça a pris de nombreuses formes : d’où je venais, mon accent, comment je m’habillais, ma sexualité, le handicap de ma sœur… J’ai souffert de ça de manière très profonde, il y a même des périodes où j’ai arrêté de lire, arrêté d’écrire, de parler, de communiquer… La musique a été pour moi un refuge. Une sorte de nouveau moyen de m’exprimer, de reconstruire une estime de moi-même. Je me sentais tellement dévalorisé que plus rien ne semblait valoir la peine. Qu’est-ce que j’en ai à faire de faire mes devoirs si je suis une merde ? Quel intérêt de préparer des dictées si je suis une merde ? Cette image de moi-même avait fini par rentrer dans ma tête et était renforcée tous les jours. Je ne valais rien. »

Les professeurs ne vous ont pas aidé ?

« Certains profs m’ont aidé, tard. D’autres ont contribué à renforcer ce harcèlement. C’était costaud, c’était dur. »

Si vous aviez un enfant victime de harcèlement scolaire devant vous, quel conseil lui donneriez-vous ?

« J’aimerais lui dire que ce qu’on raconte sur lui sont des mensonges auquel il ne doit pas croire. Que cette dévalorisation est une illusion utilisée pour abuser et pour harceler. Lui dire qu’il a de la valeur. »

Vous avez vécu la première année de votre vie au Liban, que représente ce pays pour vous ?

« Je suis parti du Liban à un an et demi. Pour mes frères et sœurs et moi-même, qui avons tant été déplacés, déracinés… Porter en soi un pays qui a une personnalité aussi forte, alors même qu’on ne s’y trouve pas physiquement, c’était très rassurant. Pour moi le Liban, c’est comme un refuge. J’y vais souvent, je fais des concerts là-bas et je suis d’ailleurs en train d’essayer d’organiser un nouveau concert. Je déteste l’expression péjorative  »c’est Beyrouth » que j’entends parfois pour décrire le chaos, la guerre. Ce n’est pas ça le Liban. C’est un esprit de cohabitation, de coexistence, ce n’est pas juste le bruit de la politique extrême. »

La guerre entre Israël et le Hamas menace de se propager au Liban, ça vous inquiète ?

« Je suis inquiet pour le peuple libanais de la même manière que je suis inquiet pour toutes les victimes de ce conflit. Les Libanais ont été victimes de trop longues années de guerre civile, d’atrocités, de violences physiques et économiques et donc ce retour de la violence est effrayant. Surtout quand on pense à la jeunesse de ce pays qui ressent déjà de la frustration quant au manque d’opportunités et d’avenir. Une jeunesse sans espoir, ça c’est dangereux. »

Le Liban n’a plus de président, n’a plus de ministres, connaît une crise économique sans précédent… Qu’est ce qui manque aujourd’hui pour que ce grand pays se remette sur pied ?

« Ce qu’il manque ? Plus de paix. »

Entre les Libanais ? Entre les différentes communautés ? Au sein des mêmes communautés ?

« Partout. Il manque plus de paix et de connexion humaine, cette idée que nous appartenons tous à une même communauté humaine. C’est ça dont manque profondément le Liban. C’est avec ça qu’on construit un État et une société qui fonctionne et qui peut tenir dans le temps. »

Vous êtes confiant quant à l’avenir du Liban ?

« La chose incroyable, c’est que j’y crois. Au plus profond de moi j’y crois. Je crois en la puissance de l’optimisme et au danger du fatalisme. »

Source : Le Progrès